
Dans un élan de solidarité, plusieurs associations et militants ont dénoncé le phénomène des jugements par contumace intentés contre des milliers de défenseurs des droits des femmes et des libertés individuelles et politiques.
L’avocate et militante des droits de l’homme Bochra Belhaj Hmida vient d’écoper de six mois de prison pour une plainte déposée par l’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports Tarek Dhiab au temps de la Troïka. Une condamnation prononcée par contumace et qui n’a pas manqué de surprendre l’accusée qui a pointé du doigt un vice de procédure à ce niveau puisqu’elle n’avait jamais reçu de convocation suite à cette plainte, comme c’est le cas pour plusieurs citoyens qui sont condamnés par contumace dans d’autres affaires. C’est devenu presque la routine, et c’est la triste réalité vécue par des milliers de Tunisiens, regrette l’ancienne présidente de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe). L’affaire traînait donc depuis 2012 et ce n’est qu’à la fin de cette année que le verdict vient de tomber.
Bochra se demande pourquoi cette condamnation au timing douteux et pourquoi n’avait-elle pas été jugée dans un délai raisonnable et n’avait-elle pas eu droit à un procès équitable ? « Des questionnements qui animent un besoin urgent d’autoréforme de la justice et la progression vers son indépendance, sinon comment expliquer que je sois condamnée à une peine privative de liberté dix ans après les faits », se demande-t-elle, tout en rejetant « la généralisation et la diabolisation du pouvoir judiciaire » dans un son statut publié sur les réseaux sociaux.
Bochra Belhaj Hmida n’a pas manqué de mentionner qu’il était tout à fait normal qu’elle soit jugée et de rappeler qu’elle a refusé de porter plainte contre les citoyens qui lui ont adressé des menaces et des insultes et ce en raison de sa conviction que la démocratie est une pratique au quotidien qui s’apprend au fil du temps. Ce jugement, s’il inquiète et soulève moult questionnements, notamment de par son timing comme l’avait souligné l’accusée, ne fait que confirmer les craintes de certaines ONG internationales, dont Amnesty International, qui a dénoncé dans son rapport publié en mai 2019 le jugement par contumace à l’encontre des manifestants pacifiques revendiquant le droit au travail dans la région de Gafsa. « En cas de poursuites judiciaires, les autorités doivent garantir pour chaque personne le droit à un procès équitable, en veillant à ce que toutes les personnes jugées sur la base d’accusations liées aux manifestations soient informées suffisamment à l’avance des charges retenues contre elles et autorisées à préparer leur défense ». Amnesty avait appelé les autorités tunisiennes à « mettre fin au harcèlement judiciaire exercé contre des manifestants pacifiques ».
La société civile condamne
Du côté de la société civile, on assiste depuis l’annonce de ce jugement à un déferlement de réactions et de manifestation de soutien en faveur de Belhaj Hmida. A ce propos, une déclaration de solidarité signée par plusieurs militants et associations, dont la Ltdh,le Snjt, les Femmes démocrates, l’Omct, a été publiée le 25 décembre. Les signataires ont manifesté leur surprise ainsi que leur préoccupation à l’égard de cette condamnation et ont exprimé leur soutien à l’une des militantes les plus en vue en matière de défense des droits humains. Le jugement d’une affaire remontant à 2012 laisse entendre le harcèlement de la militante en question par le biais d’un recours à la justice. Une tentative condamnée à l’échec car cette militante, qui a refusé de garder le silence au temps de la dictature, n’abdiquera jamais devant des jugements injustes justifiés par de futiles raisons. Les signataires ont fermement condamné ce jugement par contumace, qui témoigne d’une tentative de faire taire les voix et d’une atteinte à la liberté d’expression. Une condamnation qui prend la forme de violence politique visant à décourager les femmes militantes d’exprimer librement leur opinion et de participer activement à la vie politique.
Par la même occasion, les associations et militants solidaires avec Bochra Belhaj Hmida ont dénoncé le phénomène des jugements par contumace intentés contre des milliers de défenseurs des droits des femmes et des libertés individuelles et politiques. Pour rappel, l’ancien ministre Tarek Dhiab avait porté plainte le 27 décembre 2012 contre Bochra Belhaj Hamida pour diffamation suite à une interview accordée à un journal de la place dans laquelle elle l’avait accusé de corruption.
L’affaire a été confiée au juge d’instruction qui a entendu le plaignant mais n’a pas pu entendre l’accusée. Une fois clos, le dossier a été par la suite déféré devant la chambre correctionnelle. Le verdict est tombé le 24 décembre 2021, soit neuf ans après, et la Cour correctionnelle du Tribunal de première instance de Tunis a condamné, par contumace, l’avocate Bochra Belhaj Hmida à six mois de prison.